5 septembre 2013
Donner un sens à sa vie professionnelle et personnelle
Mener de front vie
professionnelle et vie personnelle, c’est le défi de la plupart d’entre nous. Même
en courant toute la journée, toute la semaine, toute l’année, nous n’avons pas
assez de temps pour tout faire. À la veille de la rentrée, voici dix clés pour
comprendre pourquoi nous menons une vie de fou... et surtout pour donner un
sens à cette course haletante.
1. Reconnaître
que le travail a pris une place démesurée
Pressions, réunions,
embouteillages... Répétition quotidienne d’une course contre la montre.
Fatigue, migraine, insomnie... Pourtant, nos grands-parents abattaient des
journées de 12 heures sans flancher. Sommes-nous devenus de «petites natures»?
Serge Marquis, médecin et
conférencier spécialisé en gestion de stress, s’interroge plutôt sur l’évolution
des valeurs : «Avant, le travail occupait une place équilibrée par rapport à d’autres
dimensions, notamment les dimensions qui permettent aux être humains de se
construire : la famille, la communauté, la religion. Maintenant, le travail est
au centre de la vie.»
Non seulement on se définit
par le travail mais, le plus souvent, on gère sa vie de la même manière. Avec
des objectifs de performance et le poids des obligations. Ainsi, on ne va plus
se prélasser au bord de la mer : même en vacances, on se planifie un horaire
chargé d’activités. Et on ne prend pas tellement plaisir à se fricoter un
repas... quand on revient du bureau à 20 h plutôt qu’à 18 h. Les imprévus dérangent.
«La vie est devenue un job. On n’a tout simplement pas le temps que le grand-père
soit malade ce mois-ci !» ironise Jacques Lafleur, psychologue et auteur de
plusieurs livres sur l’équilibre personnel.
Autrefois, le grand-père, même
s’il travaillait 12 heures par jour, se reposait durant l’hiver... «Le Québec
vivait au rythme des vaches, rappelle le philosophe Jacques Dufresne, dont la
famille possédait une importante beurrerie. On travaillait dur pendant l’été,
mais on se payait beaucoup de bon temps pendant l’hiver !» Aujourd’hui, bien
des gens ont des obligations professionnelles et familiales qui se traduisent
par des semaines de 80 heures, saison après saison.
2. Donner du sens
à notre vie et à notre travail
On travaille pour une
entreprise, pour un salaire, pour une promotion, pour payer l’hypothèque, pour
faire vivre ses enfants, pour acheter une piscine. On travaille pour ... La
carotte au bout du bâton. Une drogue dont le dosage doit sans cesse augmenter.
On fonctionne par stimuli-réponse, comme le chien de Pavlov. Et on finit -
comme le chien de Pavlov ! - par ne plus sentir le choc électrique, aussi
intense soit-il.
Et si on travaillait «parce
que» plutôt que «pour»? Dans ces deux petits mots, on voit apparaître la notion
de sens. «Carl Jung disait que la possibilité de donner un sens à quelque chose
permet de supporter presque tout, et que l’absence de sens conduit à la maladie»,
rappelle Serge Marquis, qui a écrit une fable sur ce thème dans son livre Bienvenue
parmi les humains.
La Truite et le Clochard
raconte l’histoire d’un sans-abri rejeté par tous, y compris par ... les
poubelles. Devant cet échec, le malheureux doit faire un choix : pleurer sur
son triste sort ou travailler à sa propre réalisation. Il décide de se
consacrer à la dépollution d’une rivière parce qu’il sait qu’ainsi il pourra se
sentir utile. Morale de l’histoire ? C’est en nous engageant dans un projet qui
nous ressemble, et sur lequel nous avons un certain contrôle, que nous pouvons
trouver un sens à notre vie.
3. Réajuster
notre relation au temps
Technologie, facilite-moi la
vie ! Prière entendue, mais promesse à moitié tenue. Car l’efficacité a un
prix, celui de la disponibilité. Boîte vocale, pagette, cellulaire, courrier électronique.
Il faut répondre immédiatement. Au travail, en auto, à la maison. À toute heure
du jour et de la nuit. Aux oubliettes, la «jasette» avec le voisin : il faut
appeler subito presto le client paniqué ou la belle-mère organisée. Pas moyen
de décrocher, dans les deux sens du terme !
Selon Serge Marquis, la
technologie a modifié radicalement notre rapport au temps. Un temps d’attente
qui nous semblait acceptable il y a seulement quelques années devient très dur à
supporter... Il prend pour preuve notre agressivité face à un simple feu de la
circulation. Le médecin a chronométré : un feu rouge nous immobilise en moyenne
30 secondes. Trente petites secondes pour lesquelles on se met en rogne et on
fait pomper notre cœur. Question de réajuster son rapport au temps, Serge Marquis
s’arrête maintenant aux feux oranges !
«On confond action et
agitation, pense Jacques Dufresne. Quand on est reposé, on pose des gestes
efficaces. Quand on est stressé, on fait une multitude de petits gestes qui
donnent l’illusion de l’efficacité. On se grise d’être au travail, on confond
sueur et résultats.» C’est ainsi qu’on fait en vitesse cinq fois le tour du
quadrilatère pour trouver la place de stationnement... qu’on n’a pas eu le temps
de voir au premier tour. Pire : on va au bureau par un beau samedi ensoleillé
et, par manque de concentration, on ne fournit que l’équivalent d’une petite
heure de labeur.
4. Apprivoiser le
méchant loup... qui est en nous
Animal, nous sommes et resterons.
Pour tout être vivant, le stress est le réflexe de défense devant la menace.
Hier, le loup. Aujourd’hui, la crainte de perdre son job, sa femme, sa maison,
ses enfants, sa collection de disques, alouette ! La crainte la plus lancinante
ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur : c’est souvent notre propre
peur de ne pas atteindre nos normes de performance.
Car, s’il est vrai que le
contexte et le rythme de travail ont changé - de vastes études américaines ont
confirmé que la semaine de travail s’est bel et bien allongée -, la véritable
menace vient le plus souvent de nous-mêmes, de notre propre perception des événements.
Selon Serge Marquis, nous aurions tout simplement «intériorisé le loup» ...
Et nous aurions avantage à
faire notre «examen de croyances» afin de mieux arrimer nos perceptions à la réalité.
Est-ce qu’on a vraiment besoin de lire tout ça pour être compétent ? Est-ce qu’on
ne pourrait pas se limiter à certaines publications ? Est-ce que la perte d’un
emploi rimerait automatiquement avec la perte de la maison ? Dans l’immédiat,
ne suffirait-il pas de vendre la deuxième voiture et de reporter un voyage à l’étranger
?
«Souvent, la crainte de
perdre son emploi est irréaliste, estime Jacques Lafleur. Car, dans la très
grande majorité des cas, la perte d’emploi n’est pas liée à la performance de l’individu.»
Des travailleurs perdent leur job quand l’entreprise ferme une division, par
exemple. De plus, selon le psychologue, les personnes qui font un burn-out
sont généralement celles qui sont les plus appréciées par les patrons... qui
leur ont parfois déjà dit qu’elles en faisaient trop !
Faire son «examen de
croyances», c’est exorciser ses idées catastrophiques, et se rendre compte que
certains événements n’entraîneraient pas nécessairement les conséquences que l’on
craint. C’est aussi, comme tant de psys l’ont déjà dit, faire face à ses émotions.
5. Apprendre à
supporter l’imperfection
«Le péché, ce n’est plus la
paresse mais hyperactivité !» lance Jacques Dufresne. Entre le 5 à 7 d’affaires
et l’achat du nouveau système de son, il n’y a tout simplement pas de place
pour le repos, voire pour le plaisir. «Et si on modérait nos transports ?» suggèrent
les spécialistes. Et si on transformait nos machines à performance en machine à
tolérance ? Si on apprenait à doser nos occasions de stress, à être moins
parfaits ? Si on acceptait de reporter et de choisir, autant les obligations
que les plaisirs ? Et si on se donnait l’obligation de se reposer...
«La question n’est pas de
savoir si on a ou non raison d’être fatigué, explique Jacques Lafleur, mais de
se rendre compte de sa fatigue et d’y remédier en se reposant, en faisant des
choses intéressantes et, parfois, en changeant d’attitude.» Sans cette
vigilance, on risque tout simplement de ne pas pouvoir se lever un de ces bons
matins et de rejoindre tel ex-collègue sur la liste des accidentés de la vie...
6. Être plus
critique avant de dépenser
«Avant, on se servait des
restes d’un bouilli de bœuf pour faire du pâté chinois. Qui fait ça aujourd’hui
?» demande Serge Marquis. Enfants du progrès, on achète du steak haché, voire
du pâté chinois tout prêt. Et même, on dédaigne cette platée du pauvre au
profit de mets plus raffinés. Hé quoi ?! Ne travaillons-nous pas assez fort
pour mériter des brochettes marinées ? Certes, mais on devra «travailler fort»
pour pouvoir payer tout ce qu’on a choisi de considérer comme indispensable. Et
supporter un rythme de vie dont nous nous plaignons souvent.
Pourtant, toutes les dépenses
ne sont pas inéluctables : on peut revoir ses choix. Au lieu d’être stressé
parce qu’il faut à la fois payer l’hypothèque et faire réparer le lecteur CD,
on peut, comme serge Marquis, écouter des cassettes pendant quelques semaines
(voire décider de rester locataire !). Il est souvent possible de se priver
temporairement d’un plaisir plutôt que de s’endetter pour obtenir une
satisfaction immédiate... On peut choisir, quoi ! Et ainsi réduire notre
stress.
7. Passer à l’action
au lieu de ruminer
Gérer son stress, c’est aussi se donner
les moyens d’agir. En passant à l’action, on rumine moins. Quinze minutes après
s’être plongé dans le dossier qu’on repoussait depuis plusieurs jours, on se découvre
une énergie insoupçonnée. «Nos démoralisations quotidiennes nous empêchent trop
souvent de bouger, estime Serge Marquis. On a l’impression que le monde gère
notre vie. On s’imagine qu’on n’a aucun pouvoir.» On est malheureux ? Un tel a été
méchant. On est surchargé ? C’est la faute du patron.
Or, le plus souvent, on peut
influencer le cours des choses. Jacques Dufresne cite le cas de cette jeune
professionnelle que sa charge de travail empêchait de songer à la maternité.
Elle s’est confiée à ses collègues, tout aussi épuisés, et, ensemble, ils ont
mis carte sur table avec l’employeur. Depuis lors, plus personne ne travaille
jusqu’à 22 h.
Mais que faire si le patron
reste sourd à nos récriminations ? Que dire si, après des heures et des heures
de discussions avec le conjoint, il ne partage plus les tâches ménagères ?
Bref, comment on s’en sort-on quand on a l’impression d’avoir tout essayé pour
résoudre encore et toujours les mêmes problèmes ? «On essaie souvent de régler
les mêmes problèmes avec les mêmes solutions, rétorque Jacques Lafleur. Si ça
fait 100 fois qu’on répète la même chose et que la personne ne comprend
toujours pas... il y a nécessairement quelque chose que nous n’avons pas
compris nous-mêmes !»
Et ce que nous n’avons pas
compris, c’est qu’il serait temps de changer de stratégie ! Dans Les quatre
clés de l’équilibre personnel, Jacques Lafleur raconte le cas des deux secrétaires
complètement débordées à la suite du départ d’un collègue. Pendant trois mois,
elles mettent les bouchées doubles, tout en se plaignant de leur charge de
travail à leur patron. Ce dernier multiplie les promesses d’embauche sans
passer à l’action... jusqu’à ce que les deux secrétaires lui annoncent qu’à
compter de la semaine suivante, elles reprendront leur horaire normal. Trois
jours plus tard, une nouvelle secrétaire est engagée.
Et si ça ne fonctionne toujours
pas ? «Pour mettre fin à l’angoisse, on pense souvent qu’il faut régler définitivement
la question, constate Jacques Lafleur. Malheureusement, ce n’est pas toujours
possible.» Passer à l’action signifie aussi apprendre à tolérer ce que l’on ne
peut changer.
8. Exercer notre
corps pour aiguiser notre conscience
C’est bien connu, le sport réduit
le stress et favorise la détente. Plus encore, le simple fait de penser à la
pratique d’une activité physique serait suffisant pour provoquer un impact
positif ! L’activité physique donne des ressources pour mieux affronter les
situations de stress. Elle permet d’évoluer à un niveau de pensée supérieur, d’ouvrir
les perspectives. Autrement dit, on se concentre moins sur les détails d’un
problème, davantage sur les solutions.
Mais attention... Faire du
sport ne rime pas nécessairement avec trois exténuantes séances de jogging
hebdomadaire ! Il faut choisir une activité qu’on aime pour être capable d’en
tirer des bénéfices. Et on se garde de tomber dans le piège de la performance!
Ce ne sont pas les kilomètres - ou les longueurs de piscine - qu’on calcule,
mais le bien-être qu’on apprécie...
Les techniques de relaxation
se révèlent aussi un excellent moyen de prendre soin de son corps. Manque de
temps ? Si on se fie à Jacques Lafleur et à Serge Marquis, au bout d’un certain
temps, la relaxation s’intègre naturellement à la vie quotidienne. «Il y a une
multitude d’occasions où on n’a pas le choix d’attendre, pourquoi ne pas en
profiter ?» suggère le médecin. Ascenseur, guichet, épicerie, métro,
dentiste... Au lieu de grogner, on peut relaxer!
9. Partager le
plaisir de vivre
«On a moins peur du loup
lorsqu’on est dix à l’affronter», rappelle Serge Marquis. La clé ? S’entourer
de gens aptes à offrir du soutien. Nourrir les relations précieuses. S’approcher
de tout ce qui peut s’avérer protecteur. Au quotidien, on prend le temps de s’informer
de la santé de sa collègue, de passer chez son meilleur ami, voire de gratter
les oreilles de son chien ! «Nous sommes des vivants et avons besoin des
vivants, tranche Jacques Dufresne. Rien d’étonnant à ce que tant de gens s’adonnent
au jardinage et à l’ornithologie.»
Le philosophe distingue
toutefois ceux qui s’abandonnent à la nature... de ceux qui fichent oiseaux et
plantes sur leur carnet de façon compulsive, qui abordent leurs loisirs avec une
obligation de résultats. Se rapprocher des vivants, c’est prendre le temps de
partager un repas, même un dîner d’affaires, c’est organiser une rencontre à l’extérieur
plutôt qu’entre quatre murs gris...
10. Changer de
vie ?
Stress, burn-out, épuisement
professionnel, dépression, fatigue chronique, somatique, maladie émotive...
Notre vocabulaire s’est enrichi d’une flopée de mots évoquant notre crise
existentielle. Face à cela, des penseurs et des gourous nous invitent à faire
le deuil de l’idéal de surabondance de l’après-guerre et à adopter un art de
vivre modelé sur la qualité de vie. Simplicité volontaire, indépendance financière
et autres approches ont toutes la même philosophie : le meilleur choix de vie
est celui qui nous laisse un maximum de temps.
Le vent est-il en train de
tourner ? «Dans mon entourage, de plus en plus de gens, pressés comme des
citrons, renonceraient à la moitié de leurs revenus pour adopter un mode de vie
plus détendu», témoigne Jacques Dufresne. Le philosophe a lui-même choisi, il y
a plus de trente ans, de subordonner la réussite professionnelle à un certain
style de vie. «En élisant domicile dans les Cantons-de-l’Est, ma femme et moi
avons mis l’accent sur l’art de vivre... et nous avons été jugés très sévèrement
à l’époque. Mais aujourd’hui, nous sommes toujours aussi créateurs !»
«Le coût social du stress est
énorme, renchérit Denis Boucher. On dit que 90 % des consultations chez le médecin
de famille et 80 % des accidents de travail y sont liés.» Autrement dit, si on
développe des ulcères ou qu’on se blesse sur la chaîne de montage, c’est peut-être
parce qu’on ravale notre peine ou qu’on gère mal notre stress. Souvent notre
environnement de travail n’améliore en rien les choses.
Changer de vie est-ce
possible ? «Oui, répondent sans hésitation les spécialistes, à condition d’en
faire une affaire personnelle.» À chacun de prendre un moment pour trouver un
sens à sa vie et chercher des solutions en vue d’adopter le rythme de vie qui
lui convient.
«Je pense qu’il faut s’arrêter pour réfléchir,
résume Jacques Dufresne. Même si on n’a pas le temps, surtout si on n’a pas le
temps ».
Source
: Julie Calvé, Affaires Plus, Octobre 1999